Penser l’accueil et l’accompagnement des seniors LGBT

Homosexualité et vieillissement – Penser l’accueil et l’accompagnement des seniors LGBT[*] dans les Villes Amies des Aînés

 

« Moi, j‘ai toujours assumé mon homosexualité, mais je n’en parle pas publiquement. Ça ne regarde pas les autres … Avec mon ami, nous ne l’avons jamais dit à notre voisinage. Après sa mort, je l’ai dit à deux ou trois voisins » (André G., 77 ans).

 

Les seniors gays et lesbiennes ont vécu une grande partie de leur vie dans un contexte où l’homosexualité était considérée comme une forme de vie immorale. Pourtant, ces dernières années la société a connu des changements profonds quant à l’homosexualité. Elleest de mieux en mieux acceptée et reconnue. Cependant, les seniors LGBT* n’ont pas forcément intégré ces changements. De plus l’opinion publique rencontre encore certaines résistances lorsqu’il s’agit des seniors LGBT comme le montre le documentaire Les Invisiblesde Sébastien Lifshitz (2012) consacré à ce sujet. L’homosexualité pose donc des défis particuliers lorsqu’il s’agit de la penser conjointement avec le vieillissement. D’une part car elle est souvent vécue dans la discrétion ; d’autre part, car elle relève quasi de l’impensé lorsqu’il est question des seniors.

En 2015, plusieurs propositions pour améliorer la prise en compte spécifique du vieillissement des personnes LGBTont été formulées dans un rapport commandité par la Ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie, Michèle Delaunay. Intitulé « Le vieillissement des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles et des personnes vivant avec le VIH » il soulignait que la société semblait bien mal préparée à l’idée que les homosexuels aussi pouvaient vieillir. Les conclusions du rapport invitaient notamment à mieux former les médiateurs familiaux sur les enjeux liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre ; à accueillir sans discrimination les couples LGBT et/ou les personnes vivant avec le VIH/Sida ; àintégrer les questions des LGBT dans la formation et l’accueil des personnes âgées en établissement ou encore à sensibiliser les personnes accueillies en institution, les aidants et les familles sur les LGBTphobies.

Aussi complémentaires puissent-elles être, ces propositions partent pourtant d’un même constat implicite : les seniors sont pensés comme étant forcément hétérosexuels. Comme si l’homosexualité était le propre de la jeunesse. Or, l’orientation sexuelle n’a pas d’âge. Sachant qu’environ 5 % de la population des 18-65 ans déclare avoir déjà eu une relation avec une personne du même sexe, nous pouvons supposer que de nombreux hommes et femmes, désormais « âgés », ont vécu, ont été, ou sont en couple avec une personne du même sexe.

Un premier point d’attention, qui conditionnerait tous les autres, pourrait être le suivant : envisager que parmi les seniors qui nous entourent certaines et certains d’entre eux sont homosexuels. Peut-être ne l’ont-ils jamais dit, peut-être qu’ils ne souhaitent pas en parler, peut-être ne se sont-ils jamais senti suffisamment à l’aise pour exprimer cette « différence ».

Par conséquent, il est important d’être à l’écoute, mais aussi d’être en mesure de pouvoir accueillir un aveu, un « coming out » en adoptant une posture bienveillante.

Les personnes âgées LGBT ont en effet un vécu spécifique. Il est souvent fait de discriminations, de violences physiques et morales liées à leur orientation sexuelle, de la nécessité d’entretenir une double-vie, de savoir se rendre invisible pour éviter les ennuis. Autrement dit, la plupart de ces hommes et femmes ont connu et vécu des situations d’homophobie / lesbophobie dans leur vie professionnelle et sociale passée, voire jusqu’à aujourd’hui. Ignorer ou feindre d’ignorer la réalité de leur orientation sexuelle signifie donc nier leur vie dans toute sa spécificité et donc sa richesse.

Reconnaître la singularité du vieillissement des seniors LGBT n’est effectivement pas forcément chose facile. Et cela d’autant plus que, comme dans la citation mise en exergue, les couples homosexuels seniors sont bien souvent invisibles dans l’espace public. Deux femmes ou deux hommes âgés peuvent aisément passer pour deux bons amis … alors même qu’ils sont en réalité en couple.

La reconnaissance du couple homosexuel âgé est cruciale dès lors que l’un des deux partenaires est amené à bénéficier d’une prise en charge spécifique ou est admis en établissement de soins ou d’hébergement. En EHPAD tout particulièrement, les équipes devraient être attentives à recevoir avec dignité le ou la conjointe de même sexe et plus globalement à penser que certains de leurs résidents puissent être gays ou lesbiennes (notamment parmi celles et ceux qui sont officiellement « célibataires »). Depuis 2014, l’association « L’autre Cercle » propose ainsi une Charte d’engagement et d’accueil sur le vieillir LGBT à destination des EHPAD, des communes et des organismes travaillant avec des seniors.

Devenir dépendant est un sujet d’appréhension pour beaucoup d’entre nous. Dans le cas des seniors homosexuels, les résultats d’une enquête réalisée en France sur le « vieillir LGBT après l’activité professionnelle » (L’autre Cercle, 2015) mettent en évidence que 78 % des personnes interrogées pensent que les personnes LGBT sont discriminées dans les établissements de retraite classique. Et 73 % pensent qu’il existe un déficit des solidarités familiales pour les LGBT vieillissants.

La famille constitue une autre spécificité du vieillissement LGBT dans la mesure où elle peut se distinguer de celle habituellement connue des hétérosexuels. En effet, les personnes et couples homosexuels, masculins ou féminins, ont tendance à privilégier ce que l’on dénomme une « famille de choix », composée d’amis proches qui acceptent leur différence (et sur lesquels ils peuvent compter). Cette famille de choix est parfois très éloignée de la famille de sang qui n’a pas toujours su accepter cette différence.

En outre homosexualité ne rime pas forcément avec absence d’enfants. Nombreux sont les seniors LGBT qui ont eu une vie conjugale hétérosexuelle passée avant qu’ils n’acceptent, n’assument ou ne découvrent leur attirance pour les personnes de leur sexe.

Enfin, ni le vieillissement, ni l’avancée en âge n’empêchent les relations sexuelles ou amoureuses. Les recherches menées en sciences sociales et en sciences médicales montrent qu’il n’y a pas d’âge pour aimer. Une enquête récente, menée en France auprès d’hommes gays âgés et en bonne santé montre que ceux-ci considèrent que leur rapport à la sexualité est de plus en plus épanoui avec l’avancée en âge. Malgré certaines limitations (troubles musculo-squelettiques, physiologiques, troubles érectiles) leur vie homosexuelle leur semble même plus affirmée et plus riche de sens. Certes, il n’en va pas toujours ainsi pour tout le monde et l’avancée en âge peut aussi être un moment de repli sur soi. Cependant, que le vieillissement constitue une période d’épanouissement ou de repli, tout plaide pour que nous tenions mieux compte des spécificités de l’avancée en âge des seniors LGBT.

 

Pour aller plus loin

 

Auteur :

Régis Schlagdenhauffen, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), titulaire de la Chaire de socio-histoire des catégories sexuelles.

[*]Lesbiennes, gays, bisexuel.le.s et transsexuel.le.s.

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